Nanti d’une formation de juriste et d’économistes, Tijani Azzabi est avant tout un homme qui a horreur de la monotonie. Aussi a-t-il souvent changé d’activité, en la quittant dès qu’il sentait venir la routine et, dit-il, «dès que je n’avais plus rien à y apprendre». Journaliste, il a inauguré en Tunisie la fonction d’attaché de presse. Il a occupé divers postes dans l’administration, dont le moindre n’a pas été celui de Directeur au Pôle Technologique d’El Ghazala.
Mais, en parallèle, Tijani Azzabi a toujours été attiré par le métier d’écrivain. Amoureux de sa ville natale d’Hammam-Lif, il lui a consacré trois livres : Hammam-Lif l’inoubliable - Légendaire CSHL (avec une interview du prince Slaheddine Bey) - Une symphonie en cartes postales.
Il a aussi écrit un livre sur le Mondial 78 (avec Ridha Najar), un autre sur Gabès (en quatre langues), une Histoire de la Poste Arabe, un roman («Abdou»). Actuellement, il a en chantier plusieurs autres ouvrages «prêts à 95%», et notamment «Une époque et des hommes», préfacé par M. Hédi Baccouche et qui contiendra des entretiens avec des hommes qui ont fait la Tunisie (le premier sera avec M. Sadok Ben Jomâa).
Pour l’heure, son dernier livre vient de sortir, il s’intitule «L’Histoire du Chemin de Fer en Tunisie».
Quand j’ai vu cet ouvrage, j’ai tout de suite été intéressé car mon beau-père est un ancien cheminot (personnel roulant) et le beau-père d’un de mes fils a fait toute sa carrière dans les services administratifs de la SNCFT. Ajoutez à cela que pendant vingt-six ans, directeur d’école à Dubosville, j’ai entendu siffler les trains jour et nuit. Aussi nos lecteurs comprendront que j’ai à cœur de leur faire partager la passion de l’auteur pour tout ce qui a roulé, et roule, sur des rails.
Car c’est une vraie passion qui a poussé Tijani Azzabi à écrire ce grand (format 24x31) et épais livre (270 pages), imprimé sur un papier luxueux et illustré de près de 270 photos dont un tiers en couleurs, de cartes et de tableaux synoptiques montrant l’évolution du chemin de fer en Tunisie depuis 1872, date de la première ligne Tunis- La Goulette.
L’ouvrage est préfacé par M. Luc Alladière, Directeur général de l’Union Internationale des Chemins de Fer, qui rend hommage aussi bien à « l’aventure humaine » qu’a été « la complémentarité des apports partagés entre les cheminots tunisiens et français » jusqu’à l’Indépendance, qu’à l’effort accompli par Tijani Azzabi pour la rédaction de son livre.
Dans une introduction joliment intitulée « A fond de train », l’auteur nous explique les origines de la passion qu’il a développée, au fil des années, pour ce « monstre » de fer qui passait sous les fenètres de la maison qu’occupaient ses parents à Hammam Lif ; puis le train miniature que lui a offert son père à l’âge de quatre ans, les jeux auxquels il se livrait avec ses petits camarades dans des files de wagons…pas toujours à l’arrêt, et le long des voies ; puis les voyages quotidiens en train pour aller étudier à la Capitale. Les descriptions des voyageurs sont un délice, avec ce brassage de populations diverses qui était la réalité de la Tunisie d’alors, ce qui nous laisse malgré tout un petit air de nostalgie. Enfin il raconte le «marathon» qu’a été la réalisation de cet ouvrage monumental, de ses «contemplations» et aussi de ses «déceptions».
Mais Tijani Azzabi ne s’est pas borné à nous parler des chemins de fer en Tunisie et le livre s’ouvre sur une «Chronologie abrégée de l’histoire monumentale du Chemin de fer « dans le monde, depuis l’évocation en 1550 d’un chariot roulant sur rails dans une mine d’Alsace, puis c’est l’invention de la machine à vapeur par Denis Papin en 1671, la première locomotive en 1804, la création de lignes en Angleterre, en France, en Allemagne…Le passage de la traction à vapeur (1825 en Angleterre) à la traction électrique (1879 en Allemagne).
Le grand chapitre sur «Le chemin de fer en Tunisie » va se subdiviser en plusieurs parties : La période pré-coloniale- Le TGM- Le réseau de l’Etat Tunisien (CFT)- Le protectorat- La convention du 22 juin 1922- L’évolution de 1922 à 1952- Le dépôt de Bubosville- Le matériel roulant.
En parallèle à la CFT se développait une autre compagnie destinée à l’exploitation des gisements de phosphates du Sud tunisien et au transport du minerai de Gafsa à Sfax. Cette «Compagnie du Chemin de Fer de Sfax à Gafsa» sera rattachée à la SNCFT en 1966 (page 201).
Puis c’est l’Autonomie interne, avec le 15 février 1956 l’inauguration de la Régie du réseau ferré, enfin l’Indépendance le 20 mars 1956 et la création le 1er janvier 1957 de la Société Nationale des Chemins de Fer». C’est alors la difficile période de la prise en main par les Tunisiens du réseau ferré et Tijani Azzabi raconte les sacrifices consentis par les cheminots-militants.
Mais, comme dans les autres secteurs de l’économie et de l’administration, le patriotisme des fonctionnaires et ouvriers leur permettra de mener à bien cette relève. L’auteur fait parler de nombreux cheminots, des hauts cadres aux plus simples employés, ainsi que les différents P-DG qui ont dirigé la SNCFT jusqu’à nos jours, et il nous promet la publication ultérieure d’un autre ouvrage, qui s’intitulera « Paroles de cheminots » aux mêmes éditions.
D’autres chapitres, plus techniques, présentent les différents matériels, depuis les wagons en bois jusqu’aux trains express actuels, en passant par les sympathiques autorails de notre jeunesse…Beaucoup de chiffres sur les effectifs, le volume des transports, les recettes…les déficits parfois, susceptibles de passionner les gens du métier, les actifs comme les retraités.
Un chapitre est consacré au «Lézard rouge», anciennes voitures construites en 1910 pour le Bey de Tunis, pour ses déplacements entre son palais d’Hammam- Lif et la Capitale, puis affectées au transport de voyageurs dans les années 60 et enfin abandonnées. Heureusement, grâce à la coopération entre l’Office National du Tourisme Tunisien et la SNCFT, ces rames, confiées à une entreprise privée et renovées, promènent maintenant les touristes dans les magiques Gorges de Seldja, dans le Sud tunisien.
Enfin un dernier chapitre traite de «L’Avenir du Chemin de Fer », que l’auteur voit comme un « précieux outil de développement durable de la Tunisie moderne », et ce suite aux nouvelles donnes qui s’imposent : «l’envol du prix des produits pétroliers et la concentration urbaine qui rend de plus en plus difficile la circulation automobile et augmente la pollution».
L’ouvrage se termine par une importante bibliographie qui contient pas moins de 72 titres (livres, études et rapports divers) qui peut être utile aux spécialistes et à toutes les personnes désireuses de préciser leurs connaissances.
En conclusion, cet ouvrage est ce que dans le jargon des éditeurs on appelle un Beau Livre, que l’on aura plaisir à lire, à garder dans sa bibliothèque ou à offrir.
Raouf Bahri - redaction@realites.com.tn |